Jean-Luc Tolédo
Une œuvre au noir

Jean-Luc Tolédo a toujours dessiné et peint. Ce fut d’abord une forme de jeu qui s’est bientôt transformée en vraie thérapie. Des dessins narratifs parlant de batailles et de châteaux-forts. Une sorte de film qui s’achevait quand il estimait les images saturées. Les visages sont arrivés vers 16 ans, étape du miroir, de la reconnaissance. Puis les tarots. Il en a réalisé deux (signes et lames) dans un esprit surréaliste. Trois séries de neuf lames, soit vingt-sept au total. Ensuite, il a revisité la numérologie qu’il a épurée et retravaillée comme le tarot en se référant à l’ouvrage « Les Princes d’Ambre ». Plus tard, le tarot est revenu sur le tapis avec des amis. Une sorte de tarot intérieur. Il en a créé un ovale. Cependant, Tolédo ne s’estime pas tarologue. Il essaie juste par ce biais de s’éloigner de la guerre du bien et du mal. C’est une sorte de chercheur qui a aussi mené un travail thérapeutique avec des sophrologues. Il s’est encore inspiré du livre « Le château des destins croisés » d’Italo Calvino pour finaliser un tarot numérique. Ses tarots sont des œuvres d’art, rien d’autre, un schéma corporel, artistique, poétique et pétri d’humour. A travers elles, il aime jouer avec les choses, les détourner de leur rôle initial même si cela peut mettre le spectateur en colère.
Jean-Luc Tolédo n’aime pas donner de titre à ses travaux. Il n’aime pas non plus qu’on leur accole la mention « Sans titre ». Alors il les baptise quand même, jouant avec la phonétique, l’humour (parfois noir). Ce sont des clins d’œil, des pieds de nez. Toujours un côté taquin, voire irrévérencieux chez cet éternel gamin qui apprécie l’humour anglais, celui de Devos ou de Desproges. De longue date, il travaille beaucoup autour du visage, souvent par séries, des familles de visages un peu grimaçants, inquiétants à moins qu’ils n’en deviennent risibles. Des animaux ont aussi été représentés. Des cochons, des serpents, de grands singes -qui font écho à sa colère face au fonctionnement des Hommes- des insectes, mais pas d’araignée… Il a également eu une période « ossements » car il trouve la ligne des os belle et poétique.
« L’arbre dénudé en hiver révèle toutes ses courbes. Les crânes aussi. », déclare-t-il. D’une manière générale, il apprécie tout ce qui est mis à l’index, estimant le principe de précaution agaçant. « Dieu n’est pas là où on l’attend. » poursuit-il. « La lumière est peut-être dans les choses peu recommandables. »
Jean-Luc Tolédo se définit comme peintre-graveur. Au début, il lui a été difficile de passer du petit format au grand. Aujourd’hui, il apprécie tous les formats et passe volontiers de l’un à l’autre. D’ailleurs, au Salon figureront deux ou trois très, très grands formats et des œuvres plus petites voire franchement petites, intimistes même car il est très sensible aux miniatures. L’artiste, dont l’atelier est divisé en plusieurs cases -chacune correspondant à l’une de ses pratiques- démarre de nombreux travaux en même temps. Ensuite, les choses peuvent aller vite ou pas. Au départ il ne sait jamais où il va et la gestation peut être longue. Il reprend ses œuvres régulièrement et suit après son inspiration, créant volontiers des ponts entre ses diverses techniques. Il ne regrette pas de s’être formé 20 ans à l’acrylique. Cela lui est fort utile maintenant. Tenez, par exemple, lorsqu’il travaille à l’acrylique, il dessine d’abord, puis découpe et colle le dessin sur une nouvelle page sur laquelle il va intervenir à l’acrylique. Les couches d’acrylique vont ensuite se succéder de manière rapprochée ou non. Le dessin peut ensuite complètement disparaître.
Jean-Luc Tolédo travaille aussi au feutre, puis à l’aérographe. Dans ce cas, autour du dessin, plein de petits détails abstraits. L’ensemble prend ensuite un aspect textile. Cependant, il ne travaille que sur du papier, jamais sur toile. Plusieurs couches de gel cette fois encore, puis il travaille à la plume par-dessus. L’artiste est également graveur. Il retravaille généralement ses gravures avec de la peinture, puis à la plume. Un même motif est repris avec différents traitements. Il joue avec le graphisme. Il lui arrive aussi de reprendre des gravures pures reprises juste à la plume en noir et blanc. Il a beaucoup pratiqué la gravure sur bois, sur zinc aussi. A Caudebec-lès-Elbeuf seront présentées des gravures essentiellement récentes. Nous aurons aussi deux ou trois grands formats plus anciens (jamais vieux cependant), déjà vus à Vandrimare ou aux Damps. Jean-Luc pratique encore la gouache, l’aquarelle, la sérigraphie qu’il propose en différents formats, avec des collages et une forme d’écriture reprise à la plume. Il aime décidément retravailler ses monotypes. Vite obnubilé par l’image numérique, il travaille aussi sur ordinateur, déforme ses images avec des logiciels, les reprend ensuite au stylet, imprime, puis redessine les images au crayon pour les retrouver ensuite sous forme de gravures.
Jean-Luc Tolédo est également un grand amoureux des livres et l’on retrouve fréquemment des références littéraires dans son œuvre. Il est aussi très amoureux du papier qu’il fabrique d’ailleurs lui-même. Du papier végétal. Il est sensible encore à
l’Art Journal et aux livres-objets qui racontent une histoire. Il en a fabriqué plusieurs, assez épais, a travaillé par thèmes en déformant les mots. Il y a Le livre de chorchellerie qui joue avec la phonétique et qui est plein de drôlerie, où il inverse volontiers l’ordre des choses. Bouzillard est un autre titre, irrévérencieux et en noir et blanc, paru en 1986 dans un esprit BD. Du texte y est intégré, des poèmes cryptés. Que veut-il donc nous cacher ? Il a aussi créé des livres-objets avec des gravures. Il a travaillé pas moins de 10 ans sur les livres-objets, dans un esprit BD, musical aussi. Ce sont les carnets d’un voyage intérieur, des livres-réparations ou pansements, une forme d’autobiographie, un grimoire. Une œuvre magnifique qui mériterait d’être montrée sous vitrine au Salon des Œuvres sur Papier de Caudebec-lès-Elbeuf.
La rencontre de Jean-Luc Tolédo avec Alice de la Pinta il y a quelques années marque un tournant dans son œuvre. Avec elle, il travaille l’aquarelle, les entrelacs celtiques, les poissons, les diables médiévaux, l’acrylique, un lien psycho-générationnel avec les ancêtres (2014) dans un esprit textile, tissu. De sa période « animaux », seuls sont restés les insectes. Il travaille beaucoup à la plume dans un esprit textile, tapis, couture, suture. Tout cela est pour lui une manière de réparer son âme, d’aider à sa cicatrisation. En ce moment, il se consacre essentiellement aux gravures et collages. Des gravures sur papier chinois transparent qu’il reprend ensuite à la plume. Le dessin numérique l’occupe volontiers aussi comme le livre-objet réduit cette fois à une dizaine de pages, ou l’aérographie et la sérigraphie. Son œuvre passe aussi par l’huile et beaucoup de crayon. Encadrer son travail a toujours été une opération assez délicate car ses œuvres sont très fragiles. Il a cependant fini par choisir un encadrement classique. Pour le reste, son temps se partage entre son œuvre, des cours et des stages de dessin.
En conclusion, nous pourrions dire que Jean-Luc Tolédo est un garçon plein d’humour qui ne se prend jamais au sérieux. Son travail, très chamanique, est une sorte d’alchimie. Il fait appel à l’intériorité de l’être, à la pulsion, à l’émotion. Il s’agit d’une espèce d’œuvre au noir qui lui permet d’exorciser ses peurs d’enfant (entre autres). Son univers, toujours à la limite de la figuration et de l’abstraction, peut paraître un peu effrayant, fantastique, elfique,
« mais, souligne-t-il, la peur est en celui qui regarde. »

Elisabeth Le Borgne